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Fritjof Capra
Le Tao de la Physique
Tout chemin est seulement un chemin, et il n'y a pas offense envers soi-même ou les autres à le quitter si le coeur t'en dit... Regarde chaque chemin séparément et délibérément. Essaie-les autant de fois qu'il te paraît nécessaire. Puis demande-toi, et à toi seul : ce chemin a-t-il un coeur ? S'il en a, le chemin est bon ; s'il n'en a pas, il n'est d'aucune utilité.
Carlos Castaneda,
L'Herbe du diable et la petite fumée.
Fritjof Capra - Le Tao de la Physique.pdf (23.18 MB)
http://www.aryanalibris.com/index.php?p … a-Physique
Préface
Il y a cinq ans, j'ai eu une belle expérience qui m'a conduit à écrire ce livre. J'étais assis au bord de l'océan un soir d'été, regardant les vagues déferler et sentant le rythme de ma respiration, lorsque je pris soudain conscience de tout mon environnement comme étant engagé dans une gigantesque danse cosmique. Étant physicien, je savais que le sable, les roches, l'eau et l'air autour de moi étaient composés de molécules vibrantes et d'atomes, consistant en particules qui en créent et en détruisent d'autres par interaction. Je savais aussi que l'atmosphère de la terre était continuellement bombardée par des pluies de rayons cosmiques, particules de haute énergie subissant de multiples collisions lorsqu'elles pénètrent dans l'air. Tout cela m'était familier de par ma recherche en physique des hautes énergies, mais jusque-là je l'avais seulement expérimenté à travers des graphes, des diagrammes et des théories mathématiques. Tandis que je me tenais sur la plage, mes expériences théoriques passées devinrent vivantes. Je vis des cascades d'énergie descendre de l'espace au sein desquelles les particules étaient créées et détruites selon des pulsations rythmiques. Je vis les atomes
des éléments et ceux de mon corps participer à cette danse cosmique de l'énergie. J'en sentais les rythmes et j'en entendais les sons, et à ce moment précis je sus que c'était la danse de Shiva, le seigneur de la danse adoré par les hindous.
J'étais passé par un long entraînement aux théories physiques après plusieurs années de recherche. En même temps, je m'étais beaucoup intéressé aux mystiques orientales et j'avais commencé à repérer des parallèles avec la physique moderne.
J'étais particulièrement attiré par les aspects embarrassants du Zen qui me rappelaient les problèmes de la théorie des quanta. Tout d'abord, cependant, établir une relation entre les deux était un pur exercice intellectuel. Franchir l'abîme qui sépare la pensée rationnelle et analytique de l'expérience méditative de la vérité mystique restait très difficile pour moi.
Au début, je fus aidé dans ma vie par le « pouvoir des plantes » qui me montra comment l'esprit peut voler librement, comment les « aperçus spirituels » viennent d'euxmêmes, sans aucun effort, émergeant du fond de la conscience. Je me rappelle la première de ces expériences. Venant comme elle vint, après des années de pensée analytique approfondie, elle me submergea au point que je fondis en larmes et qu'en même temps, un peu comme Castaneda, j'éprouvai le besoin de noter mes impressions sur une feuille de papier.
Plus tard vint l'expérience de la danse de Shiva, que j'ai essayé de rendre avec la photo-montage reproduite page 228. Suivirent plusieurs expériences similaires qui m'aidèrent graduellement à réaliser qu'une vision cohérente du monde commence à émerger de la physique moderne, en harmonie avec l'ancienne sagesse orientale. Je pris des notes durant des années et écrivis quelques articles sur les parallèles que je continuais à découvrir, jusqu'à ce que, finalement, je rassemble mes expériences dans ce livre.
Cet ouvrage est destiné au commun des lecteurs intéressés par les spiritualités orientales, même s'ils sont ignorants en physique ; j'ai essayé de présenter les principaux concepts et théories de la physique moderne sans mathématiques et dans un langage non technique, cependant quelques paragraphes peuvent encore paraître difficiles au profane à la première lecture. Les termes techniques que j'ai introduits sont tous
définis lorsqu'ils apparaissent pour la première fois et sont répertoriés dans l'index à la fin du livre.
J'espère aussi trouver parmi mes lecteurs beaucoup de scientifiques portant de l'intérêt aux aspects philosophiques de la physique, même s'ils n'ont pas encore pris contact avec les philosophies religieuses de l'Orient. Ils découvriront que la spiritualité orientale procure un cadre philosophique cohérent et harmonieux qui peut servir à nos théories les plus avancées du monde physique.
En ce qui concerne le contenu de ce livre, le lecteur ressentira peut-être un certain déséquilibre entre l'exposé des concepts scientifiques et celui des notions spirituelles. Tout au long de l'ouvrage, il progressera régulièrement dans la compréhension de la physique, mais peut-être pas autant dans celle de la spiritualité orientale. Cela semble inévitable, le mysticisme étant avant tout une expérience, que l'on ne saurait tirer des livres. On ne peut pénétrer profondément dans une tradition spirituelle quelle qu'elle soit que lorsqu'on a décidé de s'y engager activement. J'espère seulement susciter le sentiment qu'un tel engagement serait hautement
gratifiant.
La rédaction de ce livre m'a permis d'approfondir ma compréhension de la pensée orientale. De cela je suis redevable à deux hommes venus d'Orient. Je suis profondément reconnaissant envers Phiroz Mehta pour m'avoir ouvert les yeux sur plusieurs aspects de la spiritualité indienne et au maître de T'ai Chi, Lin Hsin-Chi, pour m'avoir initié au taoïsme vivant.
Il m'est impossible de mentionner tous les noms des scientifiques, artistes, étudiants et amis qui m'ont aidé à formuler mes idées au cours de discussions stimulantes. Toutefois, je dois remercier tout particulièrement Graham Alexander, Jonathan Ashmore, Stratford Caldecott, Lyn Gambles, Sonia Newby, Ray Rivers, Joël Scherk, George Sudarshan, ainsi que, last but not least, Ryan Thomas.
Enfin, je suis redevable à Mme Pauly Bauer-Ynnhof, de Vienne, pour son généreux soutien financier à un moment où il m'était plus que nécessaire.
Fritjof Capra
Londres,
décembre 1974
Last edited by LouSomPauII (02-06-2011 01:54:52)
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Fritjof Capra - The Tao of physics.pdf (10.56 MB)
http://www.aryanalibris.com/index.php?p … of-Physics
Fritjof Capra - Vers une Nouvelle Vision du Monde.pdf (56.35 KB)
http://www.aryanalibris.com/index.php?p … n-du-Monde
VERS UNE NOUVELLE VISION DU MONDE
Entretien avec Fritjof CAPRA
Fritjof Capra, ancien physicien de renommée internationale, a publié, entre autres, La Sagesse des Sages (Ed. lAge du Verseau/Belfond). Dans ce livre, lauteur relate ses rencontres avec des personnalités qui ont exercé une grande influence sur sa pensée et son comportement. Citons parmi elles, le philosophe et sage J. Krishnamurti, lanthropologue et épistémologue Gregory Bateson, les deux physiciens W. Heisenberg et G. E. Chew, et bien dautres
Dans son premier ouvrage, Le Tao de la Physique, Capra a montré la convergence entre la vision dynamique, voire vivante, de la matière qui se dégage des nouvelles théories physiques dune part et de lexpérience intérieure/mystique dautre part.
Dans Le Temps du Changement (Ed. du Rocher), Capra va plus loin et montre comment cette vision dynamique et globale peut sappliquer dans toutes les activités humaines éducation, médecine, économie, etc. Lentretien qui suit sest déroulé fin 1987 à Montréal, où Capra était une des nombreuses personnalités invitées à un colloque sur la médecine holistique. Lentretien a pour but dintroduire le lecteur à la démarche de Capra et de répondre à quelques objections que peut susciter cette démarche.
S. C. Fritjof Capra, vous êtes physicien spécialiste des particules élémentaires, et vous avez publié vers 1975 votre premier livre, Le Tao de la Physique, qui sest vendu à plusieurs milliers, sinon millions dexemplaires dans le monde. Vous avez essayé de montrer dans ce livre quune convergence existe entre la physique moderne et les philosophies de lExtrême Orient. Quelles sont les raisons qui vous ont conduit à entrevoir cette convergence et quel en est le contenu ?
Fritjof Capra Ce qui ma conduit à remarquer cette convergence, cest tout dabord lobservation et non le raisonnement. Après avoir connu les philosophies et les sagesses orientales, jai été très surpris de trouver des similitudes et des convergences étonnantes avec la physique qui est mon domaine de recherche. Jai remarqué dabord le rôle du paradoxe dans le bouddhisme Zen ainsi que dans la physique quantique ; il est frappant de voir les chercheurs des deux bords rencontrer des situations paradoxales. Cest seulement plus tard que jen ai compris la raison, car en séloignant dans les deux cas les expériences de physique et la méditation de lexpérience habituelle des sens, on pénétrait dans une réalité lointaine et inhabituelle. Cétait mon premier contact avec cela. Jétais aussi très influencé par Werner Heisenberg qui était un des fondateurs de la physique quantique et qui a décrit, dans plusieurs de ses livres, comme Physique et philosophie, dune façon vivante lexpérience des physiciens des années 1920 qui voyaient quil était impossible de comprendre les nouveaux faits concernant les atomes car le langage, limagination et les concepts fondamentaux nétaient plus aptes à décrire cette nouvelle réalité. Cela les a jetés dans une crise profonde. Jai comparé cela à ce qui se passe chez un étudiant Zen par exemple, qui aboutit lui aussi à un état de crise émotionnelle, existentielle et spirituelle. Les physiciens ont mis de longues années pour aboutir à une description adéquate de cette nouvelle réalité. Et on peut observer maintenant que cette nouvelle description, cette nouvelle façon de voir le monde matériel est en effet assez proche de la manière dont les philosophies et les sagesses orientales voient cette même réalité physique. Après cela, jai mis plusieurs années à étudier vraiment ces similarités et je les ai publiées dans mon premier livre Le Tao de la Physique.
S.C. Et quel en est le contenu ?
F.C. On peut dire quil y a deux thèmes principaux en physique moderne et, en fait, dans la science en générale. Regardons dabord la physique. Le premier thème est lunité de tous les phénomènes et leur interdépendance. Le monde napparaît plus comme un assemblage dobjets mais plutôt comme un réseau de relations inséparables. Cest donc lexpérience des physiciens qui leur a montré les limites de la notion dobjet et quil valait mieux la remplacer par la notion depat t ern ou modèles énergétiques. Le deuxième thème dit que cette réalité, ce réseau de relations, est intrinsèquement dynamique. En effet, lénergie nest que la mesure de lactivité comme on le sait depuis la relativité dEinstein. On a donc à la fois une image unifiée holistique et dynamique. Cest aussi ce quon trouve dans les traditions spirituelles : dabord lunité du monde, de toutes les choses, incluant aussi lobservateur et ensuite le caractère dynamique de ce monde.
S.C. Ici, Se posent plusieurs questions. Certains disent que vous avez choisi une des interprétations possibles de la physique ; dautres se demandent si cette unité que la physique entrevoit est vraiment la même unité quexpérimentent les mystiques. En effet, les physiciens nous disent quau niveau profond de la matière, au-delà du monde des particules, on trouve une unité mais quà notre niveau macroscopique cette unité napparaît pas. Pour un mystique, lunité est à tous les niveaux. Alors les deux langages seraient similaires sans recouvrir la même réalité ? Jaimerais connaître votre avis concernant ces deux objections.
F.C. En ce qui concerne linterprétation de la physique, il est vrai que cest une des interprétations possibles mais cest elle qui est la plus acceptée dans le milieu des physiciens. Tous reconnaîtront cette unité : au niveau subatomique, il nexiste pas dobjets séparés mais une réalité dynamique active. Cela est de la physique ordinaire. Dautres interprétations existent et je les ai citées dans Le Tao de la Physique, mais elles sont minoritaires.
Concernant votre deuxième question, je dirais dabord que javais eu, au début, les mêmes doutes au sujet des mots et je me disais quon pourrait établir, de même, des parallèles avec la philosophie marxiste ou dautres philosophies à partir dune similitude de mots. Mais ce qui ma convaincu du bien-fondé de ces parallèles furent deux faits nouveaux. Le premier était la cohérence croissante des parallèles ; le deuxième est relié au fait quon ne peut apprendre la mystique en lisant des livres. On doit le pratiquer au moins jusquà un certain degré pour avoir une idée de ce dont parlent les mystiques. Maintenant il est sûr que les mystiques expérimentent lunité du monde à tous les niveaux et pas uniquement au niveau matériel. Ce que jai comparé dans mon livre cest ce que disent ces mystiques concernant la réalité physique avec ce que disent les physiciens sur cette même réalité. Quand on dit que les mystiques parlent de lunité au niveau macroscopique, il faut savoir que cest vrai aussi, mais seulement on est devant un monde macroscopique vu dans un état de conscience spécial qui est la méditation et où cette réalité change. Ce nest plus la même réalité de tous les jours, de même que la réalité des physiciens au niveau atomique nest plus la réalité quotidienne. Donc jai comparé ces deux visions et jai affirmé clairement quil y a ces deux chemins très différents pour arriver à la description de cette même réalité.
S.C. Une autre objection est que les théories scientifiques changent continuellement, tandis que la vision mystique reste la même. Alors que reste-t-il de validité à vos comparaisons ?
F.C. Oui. La science reconnaît actuellement quelle na pas les bonnes réponses. Nous comprenons aujourdhui que tout ce que nous disons est approximatif et que cest un modèle limité. Et même les théories complètes, comme la mécanique quantique, la relativité restreinte, la mécanique newtonienne, etc., qui ne sont plus provisoires, sont néanmoins approximatives et limitées. Leurs descriptions seront toujours améliorées. Cest la recherche scientifique. Mais il faut savoir que lorsquon améliore ces théories, par étapes successives, avec de nouveaux modèles, la connaissance ne change pas arbitrairement et la nouvelle théorie ninvalide pas lancienne dune façon absolue. Ainsi la physique quantique na pas démontré que la physique newtonienne était fausse. Elle a démontré quelle est limitée et reste valable dans notre monde. On peut donner beaucoup dexemples à ce sujet. Je crois donc, de même, que lunité fondamentale et le caractère dinterrelation de lunivers et la nature intrinsèquement dynamique de ses phénomènes ne seront pas invalidés par la recherche future.
S.C. Vous vous êtes beaucoup inspiré de la théorie duboot st rap, mais cette théorie a évolué avec leboot st rap topologique. On peut se demander si avec la théorie dessuperst ri ngs, qui a quelques bases communes avec leboot st rap, nos idées sont plus confirmées ou moins ?
F.C. Tout dabord, la convergence dont on a parlé nest pas basée uniquement sur leboot st rap
(surtout que dans leboot st rap il nexiste pas de bases !). Lebootstrap est une thèse qui ne reconnaît pas de fondements. Ce qui sest passé avec leboot st rap, qui est mon domaine de recherche en physique, est très intéressant car on a trouvé avec leboot st rap topologique le cadre mathématique et théorique adéquat pour exprimer cette thèse duboot st rap. De plus, lautre approche en physique des particules, qui est la théorie des champs, se rapproche avec le superstring duboot st rap car lidée dune corde vient du domaine de la matrice S duboot st rap. Je crois que ce que jai dit dans Le Tao de la Physique à propos duboot st rap est encore plus valable aujourdhui. Le problème est que le formalisme est très inhabituel et peu de gens se donnent la peine de létudier. Cest vraiment une école minoritaire, mais je crois quil y a beaucoup despoir.
S.C. Comment classez-vous leboot st rap par rapport aux thèses de David Bohm ?
F.C. Cest beaucoup plus proche maintenant que les autres théories. G. Chew, le créateur de la physique boot st rap, et David Bohm se sont beaucoup rapprochés. Ils se connaissent et plusieurs discussions les ont réunis. Chew, au moins, croit que les deux théories vont converger dans lavenir en une seule théorie. On voit, par exemple, que les deux théories ont comme point de départ la notion de réseau de relations où il nexiste pas dunité fondamentale. Les deux travaillent aussi avec la topologie et des matrices , donc beaucoup daspects formels semblables.
S.C. Quel est le rôle que vous donnez à lintellect et à lexpérience mystique ?
F.C. Lintellect a le rôle très important danalyser, dinterpréter cette expérience. Mais il est limité et ne peut faire cela que partiellement. Tous les mystiques disent quen fin de compte le raisonnement, le langage, doivent rester derrière car ils ne pourront pas saisir totalement lexpérience. On retrouve la même chose en physique : lintellect peut sapprocher de cette réalité mais cela reste très approximatif et limité ; on ne pourra jamais connaître la vérité finale par la science ; seulement des approximations. Par cela, je veux dire quune correspondance absolue entre la description et la chose décrite est impossible.
S.C. Pensez-vous que cela soit possible en mystique ?
F.C. Non. Pour le mystique, cest un fait dexpérience mais intraduisible dans un langage. Dès quun mystique veut parler de cela, il est aussi soumis aux mêmes contraintes que les scientifiques.
S.C. Vous êtes donc parti de cette vision dynamique et unifiée et vous lavez appliquée à toutes les activités sociales dans votre deuxième livre The Turning Point (Le Temps du Changement). Comment êtes-vous arrivé à cela ?
F.C. Cela était un travail denviron une dizaine dannées. Je me suis tout dabord rendu compte que le changement de concepts, qui a lieu en physique, a maintenant lieu dans dautres sciences. Jai eu de longues discussions avec différents scientifiques, des biologistes, des médecins, des psychologues et des spécialistes en sciences sociales. Je me suis rendu compte que la crise conceptuelle, dont parlait Heisenberg en physique, est aussi une crise sociale ; cest une crise globale dans tous les pays. Il paraît que la façon de penser la technologie et la façon traditionnelle et conventionnelle dagir ne sont plus capables de résoudre nos problèmes dans le cadre dune vision mécaniste périmée. Je me suis alors efforcé détudier les alternatives possibles. Jai ainsi découvert quen effet une nouvelle vision est en train de naître dans les différentes sciences et dans la société. Cest une vision holistique, que je préfère appeler maintenant « écologique », qui tient compte quen vérité tous les phénomènes sont interdépendants et que nous sommes tous enracinés dans le système naturel et dans ses cycles.
S.C. Vous vous êtes servi, pour expliquer cela, de la théorie des systèmes. Pouvez-vous décrire en quoi consiste cette théorie ?
F.C. On peut dire que la vision nouvelle de la Réalité est une vision écologique et que sa meilleure formulation scientifique, pour moi, est la théorie des systèmes vivants, qui remonte aux années 1940 avec la cybernétique, mais qui na été bien formulée que dans les dix dernières années. Quest-ce quun système et surtout un système vivant ? Cest un tout intégré dont les propriétés ne dérivent pas des parties plus petites mais des principes dorganisation. Il faut donc comprendre la dynamique du tout pour comprendre le comportement des parties. Cette théorie ne découpe donc pas le système en morceaux élémentaires mais essaie de le comprendre en terme de ses principes dorganisation et le principe dorganisation principal est lauto-organisation. Donc, un système vivant sorganise de lui-même : sa structure, son ordre, son fonctionnement ne lui sont pas imposés de lextérieur par lenvironnement, malgré quil ne soit pas isolé et quil soit en contact intime avec ce qui lentoure. Mais ce contact, cette interaction, nempêche pas le système de sorganiser lui-même. Toute la compréhension de la vie, des systèmes vivants, découle de ce principe. Ces systèmes vivants recouvrent un très grand domaine. Ainsi, chaque organisme vivant est un système ; donc chaque cellule, chaque plante, chaque animal jusquà lêtre humain et ensuite les systèmes sociaux la famille, la communauté, les écosystèmes, etc., sont étudiés par cette théorie.
S.C. Pour être clair, vous ne voulez pas rejeter la forme de pensée analytique pour lui substituer un nouveau paradigme holistique car je pense que, pour vous, il faut quun équilibre existe entre les deux et quils sont tous les deux nécessaires.
F.C. Oui, tout à fait. Aussi lancien paradigme sera-t-il toujours un cas spécial qui garde sa validité dans certaines limites comme, par exemple, la physique newtonienne est toujours valable pour construire une machine à coudre. Donc, pour les choses mécaniques, cette vision mécaniste est la plus simple et la plus pratique ; mais elle ne doit pas déterminer notre vision du monde. En ce qui concerne la pensée, je veux obtenir un équilibre entre la pensée rationnelle et lintuitive, entre lanalyse et la synthèse, et non remplacer lune par lautre. Cest un élargissement du cadre.
S.C. Quels sont actuellement les mouvements qui peuvent porter cette vision et lappliquer dans la société ?
F.C. Je crois que les mouvements les plus importants sont le mouvement écologique, le mouvement féministe, le mouvement pacifiste, le mouvement des médecines holistiques, les mouvements spiritualistes, etc. On observe actuellement une convergence de ces mouvements qui saperçoivent quils représentent des facettes différentes dune même vision. Ainsi, on voit aux États-Unis le mouvement éco-féministe, donc union de lécologie et du féminisme, et en Allemagne on parle dun mouvement féministe- pacifique, etc. Je crois quil y a un triangle significatif entre les trois mouvements écologique/pacifiste/féministe. Cest là, peut-être, le noyau dun changement social et cest grâce à ces mouvements quest né le mouvement vert en Allemagne et dans dautres pays.
S.C. Le problème avec ces mouvements, surtout avec ceux qui sont à tendance dite « holistique », comme en médecine, est lexistence dans leur sein dun imaginaire non vérifié et un manque visible de maturité. Cela ne nuit-il pas à léclosion de ce mouvement dans le milieu scientifique ?
F.C. Cest un grand problème. Tout ce quon peut faire est dêtre attentif à ce que lon dit et avec qui on travaille. Il nest pas toujours facile de distinguer ce qui est valable de ce qui est fantaisiste.
S.C. Sur quels critères doit-on se baser ?
F.C. Cest très difficile. Il faut développer de nouveaux critères. Prenons la médecine comme exemple. La médecine classique est basée sur le paradigme cartésien-mécanique. Elle prend seulement en compte une partie des causes et des phénomènes qui mènent à la maladie, qui sont spécialement les mécanismes biologiques, mais elle laisse de côté les facteurs sociaux, écologiques, psychologiques, etc. Maintenant, un critère pour évaluer une médecine holistique est de voir si elle laisse de côté un des facteurs précédents. Le modèle biomédical classique est basé sur une conception limitée de la thérapie. Cette dernière nest quune intervention du médecin qui sait ce qui est bon pour vous. Dans la nouvelle vision, lorganisme humain est un système sauto- organisant. Donc, il sait ce qui est bon pour lui et le médecin joue le rôle dassistant qui va préparer le terrain et créer un environnement propice à la guérison qui, elle, sera effectuée par lorganisme lui-même. Aussi, on peut se demander si les thérapeutes holistiques agissent autoritairement comme dans lancien modèle ou bien sils se voient comme des assistants du malade. Cest un critère important qui permet de distinguer bien des choses. On peut aussi remarquer le fait que la médecine classique est généralement une médecine de guérison et non de prévention comme la médecine holistique. Donc il y a des critères comme ceux quon a cités. On peut trouver, de même, des critères dans les champs de la psychologie, lécologie, la politique,
etc. Cest un travail danalyse très dur et très important qui reste à faire.
S.C. Pour rester dans lexemple de la médecine, les médecins vous diront quils ne peuvent pas inclure tous les facteurs que vous avez cités dans leurs diagnostics.
F.C. Ces médecins ont alors deux alternatives :
- ou bien ils se concentrent sur la biomédecine, et alors ils doivent laisser le droit de
déterminer ce quest une maladie à dautres ;
- ou bien ils veulent conserver le droit de dire ce quest une maladie, ce quest une thérapie, et ils doivent alors élargir leur domaine et inclure la psychologie, la nutrition, lenvironnement, la pollution, le climat social, etc. qui tous influencent la santé.
S.C. Une dernière question. Comment voyez-vous lévolution de tous ces travaux tant au plan théorique que social ?
F.C. Je vois lévolution dans un processus politique démocratique, mais avec une nouvelle forme de démocratie qui crée de nouvelles formes politiques. Mais je ne vois pas et jinsiste là- dessus les scientifiques et la science mener à la réalisation de cette nouvelle vision car, même sil y a quelques scientifiques qui y travaillent, la plus grande partie reste prisonnière de lancien paradigme. Je crois que le changement va venir de la société grâce aux mouvements que jai cités.
Last edited by LouSomPauII (02-06-2011 02:00:51)
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