Henri Dutrait-Crozon - Précis de l'Affaire Dreyfus


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Henri Dutrait-Crozon - Précis de l'Affaire Dreyfus
Avec un répertoire analytique

Henri Dutrait-Crozon pseudonyme de Frédéric Delebecque et Georges Larpent
Édition définitive 1924


Scribantur haec in generatione altera.
PS. 101 (HEBR. 102), v. 19.


Bien avant l'arrestation de Dreyfus, on avait eu la preuve officielle que les attachés militaires allemand et italien s'occupaient personnellement d'espionnage. Le 30 août 1890, un archiviste de la section technique de l'artillerie, nommé Boutonnet, avait été condamné à cinq ans de prison pour avoir livré des documents à l'Allemagne. A la vérité, l'ambassadeur d'Allemagne, M. de Münster, avait donné sa parole d'honneur que Boutonnet n'était en relations avec aucun agent de l'ambassade, mais les aveux du coupable montrèrent la valeur de ce démenti diplomatique. M. de Münster promit alors que les attachés militaires allemands s'abstiendraient à l'avenir de tout trafic avec les officiers ou les employés français. Cependant. en 1892, un nommé Greiner, du ministère de la marine, fut surpris porteur de documents confidentiels, au moment où il entrait à l'ambassade des Etats-Unis. Greiner fut condamné, le 6 septembre 1892, à vingt ans de travaux forcés et on eut la preuve que l'attaché allemand était en rapports avec le traître par l'intermédiaire de l'attaché américain, le capitaine Borup.
Toutefois, le ministère de la guerre luttait contre cet espionnage. Une annexe du 2e bureau de l'état-major de l'armée, désignée officiellement sous le nom de « section de statistique », dénommée aussi parfois « bureau des renseignements », s'occupait spécialement du contre-espionnage. Le chef de la section de statistique, en 1894, était le lieutenant-colonel Sandherr, assisté du commandant Cordier, du commandant Henry, des capitaines Matton et Lauth et de l'archiviste Gribelin. Le colonel Sandherr entretenait des agents à l'étranger, mais, de plus, il avait des « agents doubles », c'est-à-dire des agents jouant le rôle d'espions et chargés de transmettre aux attachés militaires de faux renseignements. Ces agents communiquaient à la section de statistique les questionnaires qu'ils recevaient des attachés militaires et la section de statistique leur fournissait des réponses, mi-exactes, mi-erronées, ou dilatoires, mais dûment contrôlées par les services compétents de l'état-major, de telle sorte qu'aucune information préjudiciable à la défense nationale ne pût être fournie.
En outre, à l'ambassade d'Allemagne, une femme de ménage, Mme Bastian, celle qu'on a appelée « la voie ordinaire », recueillait les papiers que l'attaché militaire jetait au rebut, et les faisait parvenir, dans un « cornet », au bureau des renseignements. A l'origine, Mme Bastian remettait ses cornets à l'agent Brücker ; celui-ci ayant été « brûlé », fin 1893, après l'affaire de la femme Millescamps (condamnée le 3 janvier 1894), Mme Bastian entra directement en relations avec les officiers: ce fut d'abord le capitaine Rouin qui reçut les papiers et ensuite, après son départ du service, son successeur, le commandant Henry. Le commandant Henry triait les papiers, reconstituait ceux qui étaient écrits en français et donnait au capitaine Lauth ceux qui étaient écrits en langue étrangère. Les papiers, une fois reconstitués, étaient remis au chef de service.
On suivait donc de très près les agissements des attachés militaires et lorsque, en décembre 1893, le général Mercier prit possession du ministère, le colonel Sandherr le mit au courant de la situation, lui rendant compte qu' « un vaste système d'espionnage était organisé contre nous » par l'attaché militaire allemand Schwarzkoppen, puissamment secondé par l'attaché italien Panizzardi.
Le général Mercier se fit remettre une lettre caractéristique, dite « des forts de la Meuse », qui avait été saisie par la voie ordinaire et qui était adressée, de Berlin, par Schwarzkoppen à son intérimaire à Paris. Le général Mercier porta la lettre au président du conseil; ministre des affaires étrangères, M. Casimir-Périer, en le priant de faire, à l'occasion, des représentations aux ambassadeurs.
Dans le courant de 1894, les renseignements se précisèrent et firent connaître que les attachés militaires avaient à leur solde un officier du ministère.
La « voie ordinaire» livra successivement:
Un télégramme du 25 décembre 1893, adressé par l'état-major allemand à Schwarzkoppen, ainsi conçu: « choses aucun signe d'état-major », et le brouillon de la réponse de Sehwarzkoppen, du commencement de 1894 : "doute. preuve, Jettrede service, etc.", dans laquelle Schwarzkoppen disait que lui aussi avait eu des doutes sur l'origine des documents, mais qu'il allait se faire présenter, ou s'était fait présenter, la lettre de service de son correspondant, ajoutant: « qu'il vaut mieux n'avoir aucune relation avec les corps de troupe, que les documents n'ont d'importance qu'autant qu'ils proviennent du ministère» ;
Une lettre de janvier 1894, dite "lettre Davignon", adressée par Panizzardi à Schwarzkoppen et dans laquelle il est question d'un «ami» qu'a Schwarzkoppen au ministère, au bureau du colonel Davignon ;
Une lettre de mars 1894, de Panizzardi à Schwarzkoppen, où il dit avoir reçu des choses intéressantes de leur correspondant;
Une lettre d'avril 1894, dite « ce canaille de D. », où il est question de la livraison de plans directeurs.
En outre, l'attaché militaire espagnol, le marquis de Val Carlos, qui était en relations avec Schwarzkoppen et Panizzardi, avertissait, en mars et avril, un agent civil du bureau des renseignements, nommé Guénée, « qu'il y avait un loup dans la bergerie », et, en juin, le commandant Henry qu'un officier du 2e bureau, ou ayant appartenu au 2e bureau, renseignait Schwarzkoppen et Panizzardi. L'agent Guénée rendit compte au service des renseignements des confidences de M. de Val Carlos dans deux rapports des 28 mars et 6 avril 1894.
Ces renseignements si précis déterminèrent à organiser une surveillance sur les officiers; Elle n'amena aucun résultat.

Pour plus d'informations

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